Le Masque: il s'agit bien sûr de l'émission de radio le Masque et la Plume. Le jeu en vaut un autre, qui consiste à essayer de prédire ce que tel ou tel chroniqueur va penser du livre du moment.
Michel Crépu, spécialiste, notamment, de Bossuet, a un jour avoué qu'il n'avait jamais vu "Le Père Noël est une Ordure"... Il me semble qu'Arnaud Viviant a un goût très sûr (mais c'est peut-être seulement que nous avons le même). Jean-Claude Raspiengeas est un peu naïf, Olivia de Lamberterie souvent superficielle. Frédéric Beigbeder est un cas à part. Le personnage m'agace, mais je me surprends à tomber souvent d'accord avec le critique...
Je dois au Masque de belles découvertes. Tout récemment, Clémence Debré, dont le premier livre, très court, est très fort, incroyable -- même s'il s'agit d'autofiction.
Mais de temps en temps on est affligé et surpris. En décembre, le Masque n'a pas hésité à chanter les louanges de Philippe Labro. Philippe Labro! Le parolier de Johnny qui lui faisait dire:
tu m'as donné ton corps
merci pour ton effort
et qui est capable de se relever huit fois alors qu'il n'est tombé que sept. Comment fait-il?
Mais le plus grave n'est pas d'aimer les mauvais écrivains, c'est de passer à côté des bons. Et c'est ce qui motive ce post. Dans leur dernière émission (23 mai) les critiques du Masque, Lamberterie en tête, dénigrent tranquillement David Vann.
Je n'ai pas lu Komodo, le livre à l'ordre du jour; mais c'est l'écrivain en général qu'ils semblent mépriser, et c'est très ennuyeux. David Vann est ce que j'ai lu de plus fort, de plus neuf, de plus intéressant depuis très longtemps. Je me souviens d'un passage où il met en parallèle le suicide de son père, les parties de pêche qu'il faisait avec lui, et l'état de son aquarium, c'est magistral. (Ce que j'en dis n'est pas très magistral pour le coup... Lisez-le.)
Le rôle d'une émission comme le Masque est d'être un filtre. Le seul vrai filtre c'est le temps, mais on peut tricher. On peut installer un filtre Brita sur son robinet plutôt que d'aller chercher de l'eau pure dans la montagne. Le Masque, c'est le Brita de la littérature.
Mais s'il laisse passer les cailloux comme Labro et qu'il arrête les sels minéraux les plus nourrissants et les plus nécessaires, comme Vann, alors il est peut-être temps de le changer.