À propos de Vingt ans et après/Letzlove l'anagramme d'une rencontre de Thierry Voeltzel.
Bien sûr, il s'agit de dialogues un peu creux entre un philosophe amoureux et un "jeune" qui l'est moins, et qui, au fond, s'en fout; mais la perspective est tellement originale, et tellement loin de ce que notre société est devenue... Lire ce livre est comme ouvrir la fenêtre en hiver dans une maison de retraite surchauffée.
On aurait pu être libre. Au lieu de ça on saute maintenant au cou des flics pour leur dire merci.
Michel Foucault a pris l'auteur en stop Porte de Saint-Cloud et l'a conduit en Normandie. Ils se sont parlé, ils se sont plu, ils sont devenus amants, et Foucault, émerveillé d'avoir rencontré "le garçon de 20 ans" a décidé, un ou deux ans après leur rencontre, de faire un livre à partir de dialogues entre eux plus ou moins dirigés.
On y parle de sexe, de drogues, de révolution, de communisme, de société bourgeoise, d'activisme, mais aussi de musique, de lecture. Michel Foucault n'arrive pas à retrouver le nom de Mick Jagger, c'est touchant et rigolo. Le "garçon de 20 ans" lit beaucoup, mais aucun auteur français de son temps, c'est intéressant, c'est même remarquable. Si je me souviens bien, à tout il préfère Stendhal, et il préférerait presque Jules Verne à Sollers, ce qui mérite quand même d'être souligné... Il loue un livre de Lénoard Cohen, "Beautiful Losers", que je suis, du coup, en train de lire et qui est effectivement étonnant.
Mais surtout, c'est l'absence totale de référence morale qui surprend. On est aujourd'hui assailli par le BIEN qui est devenu non seulement obligatoire, mais omniprésent; et dans la mesure où les provocateurs existent, ils se positionnent par rapport et contre le BIEN, dont ils ne sont souvent qu'une caricature inversée.
Ici, deux hommes intelligents se parlent, sans référence à rien, sans volonté de choquer mais sans crainte de le faire non plus. Même les comportements dont ils sont les victimes directes ne les choquent pas (par exemple, les passages à tabac des homosexuels par les flics, plus ou moins systématiques): ils les constatent sans se plaindre.
Ce regard distant et libre, libre, fait envie. Les puritains gagnent toujours à la fin, mais qu'il est agréable d'être transporté, même un court instant, à une autre époque, dans un autre monde.